Monsieur Jean-Marie Rausch, ancien Sénateur Maire de
Metz, ancien Ministre, a gentiment accepté de décrire, pour la Lettre du
Cercle, l’enchaînement des décisions qui ont abouti à la création du Centre
Pompidou de Metz. Il s’agit là d’une belle opération d’aménagement du territoire
que nous vous incitons à découvrir, si ce n’est déjà fait.
( Hervé Nora , Président du Cercle pour l'Aménagement du Territoire)
Jean-Jacques Aillagon, Président du Centre Pompidou Paris en 2000
Le contexte
Lors de mon élection à la mairie de Metz, je me suis rendu
compte de la très mauvaise image de la ville, vue de Paris comme des autres
départements français. On disait que c’était une ville « allemande »,
avec beaucoup de casernes et de militaires, des pollutions d’usines, très
sinistrée ; et tout cela avec un climat déplorable !
Ces remarques m’ont été faites par des journalistes
parisiens venus suivre la campagne électorale pour élire un nouveau maire à la
suite du décès de Raymond Mondon, maire de Metz et Ministre des Transports du
Gouvernement de Jacques Chaban-Delmas.
Après mon élection à la fin du mois de mars 1970, j’ai voulu
m’attaquer immédiatement à ce problème d’image. Je suis allé consulter Georges
Chetochine qui était un des premiers grands spécialistes de la communication à
cette époque. Il est venu plusieurs fois à Metz faire des socioscopies et son
verdict était que nous souffrions d’un stéréotype très négatif du fait de notre
détachement de la France entre 1871 et 1918, ainsi que de 1940 à 1945. La
bourgeoisie messine était partie à Nancy et il n’y avait pas véritablement
d’élite à Metz. Mais nous souffrions également de ce que la moitié de la France
masculine était passée à Metz pendant la dernière guerre lors d’un des hivers
les plus rigoureux du siècle.
Quand on parlait de Metz quelque part en France, il se
trouvait toujours un ancien combattant pour dire : « c’est vraiment
une ville très moche ; j’y étais pendant la guerre ».
Ajoutez à cela la rénovation urbaine entreprise par mon
prédécesseur pour faire face à la très grave crise du logement, avec des
chantiers dans de nombreux quartiers. Cela donnait des allures de ville
gravement sinistrée.
Georges Chetochine m’a dit à ce moment que l’on ne pouvait
pas brutalement changer un tel stéréotype, mais qu’il fallait lui en substituer
progressivement un autre.
C’est ainsi que j’ai commencé à arrêter toute la politique de
rénovation urbaine entreprise et à lui substituer une politique de restauration
urbaine afin de sauver tout ce que je pouvais du Vieux Metz. Cela a pu se faire
progressivement.
A cette époque, au début de la décennie, on commençait à
parler de la crise de la sidérurgie et l’on craignait celle du charbon. Je me
suis rendu compte que nous allions vers la fin de la Société Industrielle et je
m’interrogeais sur la forme de société qui allait suivre.
Vers les années 1974-1975, j’ai pensé que ce serait une société
basée sur les technologies nouvelles et surtout celles de la communication.
Nous vivions le développement rapide du téléphone, grâce à Gérard Théry,
l’arrivée de la télévision en couleur et l’utilisation de plus en plus
importante, même dans les petites entreprises, de l’informatique.
Elu Sénateur en 1974, j’ai cherché à me spécialiser et j’ai
choisi ce domaine. Je suis devenu Président de la commission Télématique et
Informatique du Sénat ainsi que rapporteur du budget « Postes et
Télécommunication » de la commission des affaires économiques. J’ai pu
créer ainsi un Technopôle et attirer une antenne de l’Université américaine
Georgia Tech d’Atlanta à Metz.
J’ai apuré progressivement le budget de la ville, remboursé
les dettes et je n’ai plus augmenté les impôts locaux depuis 1982. Mais je me
suis rapidement rendu compte que l’amélioration de l’urbanisme et le
redressement des finances ne suffisait pas pour changer de manière
significative l’image et le stéréotype. Il fallait aussi que Metz améliore son
image culturelle.
Lorsque le Président Valéry Giscard d’Estaing a supprimé
l’ORTF et les orchestres régionaux qui en dépendaient, j’ai repris l’Orchestre
d’Alsace à Metz. Très rapidement j’ai senti la nécessité d’une salle de concert
que la ville ne possédait pas (elle avait par contre un très beau théâtre
municipal) : j’ai fait construire une superbe salle de concert dans un
ancien arsenal militaire par l’architecte catalan Riccardo Bofill. Cela a
amélioré la situation sans pour autant suffire.
J’avais bien, entretemps, modernisé le musée de Metz avec
l’aide de Robert de Margerie qui était directeur des musées avant de devenir
ambassadeur de France.
Je souhaitais aller plus loin dans cette voie et posséder un
musée d’Art Moderne.
Après la mort de Bernard Buffet, j’ai approché son légataire
testamentaire pour obtenir en dépôt une centaine de toiles de ce peintre et
j’avais proposé de construire un musée à son nom. Mais cette initiative a
échoué.
Chrisine Raffin , adjointe aux Affaires Culturelles de la Ville de Metz en 2000.
La décision
Jean-Jacques Aillagon était, à la fin des années 1990,
Président du Centre Pompidou de Paris. Madame Catherine Trautmann, Ministre de
la Culture l’avait également nommé président d’un comité chargé de
l’élaboration des Festivités pour le passage à l’an 2000. Il avait proposé à un
certain nombre de villes, dont Metz (son lieu de naissance), de participer à ce
comité et à ces festivités. J’avais délégué pour cela mon adjointe, Madame
Christine Raffin. Mais, lors du remplacement de Madame Trautmann par Catherine
Tasca, les crédits pour cette opération ont été diminués et Jean-Jacques
Aillagon a dû se résoudre à éliminer certaines opérations prévues. Metz était
du nombre et quand il l’a annoncé à Christine Raffin, il lui a confié qu’il
cherchait aussi à créer une antenne du Centre Pompidou en province, mais qu’il
fallait que l’investissement soit pris en charge par une collectivité locale.
Il avait contacté en vain Lille, Caen, Montpellier et Nancy, mais les maires
concernés avaient tous refusé, essentiellement pour des questions financières.
Madame Raffin lui a alors suggéré de venir me voir et, sur sa demande, je les
ai tous les deux invités à déjeuner à Metz. Puis cela s’est passé très
vite : Jean-Jacques Aillagon m’a expliqué son projet. Je lui ai demandé à
combien il estimait le coût d’une telle opération. Il m’a dit : « 25
millions d’€ ». J’ai répondu qu’il fallait au moins doubler ce chiffre.
« Alors vous renoncez ? » m’a-t-il demandé. Ma réponse :
« Non, je prends, sous la condition de l’accord de mon conseil municipal
que je me charge de convaincre ».
C’est ce qui est arrivé. Mon conseil municipal a adopté le
projet à l’unanimité (y compris mon opposition, dont Dominique Gros qui m’a
succédé en 2008). La communauté d’agglomération dont j’étais le Président a
également suivi à l’unanimité. Le Conseil Régional et le Conseil Général ont
promis de participer à hauteur de 10 millions d’€ chacun.
L’opération a pris un peu de temps. Jean-Jacques Aillagon
est devenu Ministre de la Culture et certaines villes, comme Nancy, ont alors
essayé de faire échouer le projet.
En 2002 nous avons conclu. En 2003 un jury que j’ai présidé
a retenu parmi plus de 150 projets, celui du Japonais Shigeru Ban associé au
Français Jean de Gastines. Les prévisions étaient de 37,5 millions d’€ pour le
bâtiment et d’environ 15 millions pour les finitions internes et externes. Très
vite, j’ai annoncé que j’estimais le tout à 65 millions d’€, chiffre très
proche de la réalité.
Le Centre Pompidou de Paris a bien joué son rôle en
accueillant l’équipe d’architectes
et en nous proposant l’un de ses meilleurs jeunes conservateurs, Laurent
Le Bon.
L’inauguration par le Président de la République a eu lieu
le 11 mai dernier.
Le Centre Pompidou Metz le lendemain de l'inauguration
La suite
De nombreux journaux, dans le monde entier, ont parlé de cet
évènement. Les Messins sont très fiers de leur musée. L’appropriation de fait
parfaitement bien. Plus de 100 000 visiteurs le premier mois.
L’exposition « Chef d’œuvres » est une pure
merveille. Elle sera suivie d’une autre exposition de grande qualité à
l’automne.
La force de ce musée est de ne pas avoir d’œuvres en propre
et de pouvoir ainsi se renouveler en permanence grâce aux collections du Centre
Pompidou de Paris et d’autres…
Le Musée est situé dans un tout nouveau quartier, à côté de
la gare (l’ancienne gare de marchandises). Il devrait concourir à un important
développement tertiaire, tout en ayant d’ores et déjà fortement changé l’image
de la ville. Les visiteurs qui découvrent Metz et ses richesses sont de plus en
plus nombreux. Le pari semble gagné.
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